Par Ismet Hassaïne-Terki enseignant- chercheur Oran
Introduction:
Moi je dirai que c´est anormal qu´un fait historique aussi important que l´expulsion de presque 500.000 morisques d´Espagne vers le Maghreb au début du XVIIe siècle, essentiellement vers l´Algérie, ne soit pas commémoré cette année, comme il se doit, par l´organisation d´un colloque international, ou tout simplement par une série de conférences.
Je dirai même que cet évènement passe presque inaperçu dans nos manuels d´histoire quand on sait que nos voisins, Marocains et particulièrement les Tunisiens , ont fait de cette question, il y a plus de 3 décennies, leur cheval de bataille dans le domaine de la recherche .
Il est vrai aussi que cette question est passée sous silence en Espagne pendant très longtemps. C´était un sujet tabou durant l´époque de Franco (1939-75). Ce n´est que durant ces trois dernières décennies que le voile commence à se dissiper, et ce n´est qu´un début car il y a encore du chemin à faire dans le domaine de la recherche, aussi bien dans ce pays que dans les pays d´accueil.
Pour ce qui est de l´Espagne, ce problème suscite actuellement beaucoup d´intérêt
- Chez les universitaires, où plusieurs congrès et séminaires sont organisés régulièrement dans diverses universités du pays.
- Chez les hommes de Lettres , comme la publication des romans historiques dont les personnages principaux sont des morisques , comme par exemple le roman publié récemment et qui a obtenu un grand succès en Espagne « La mano de Fatima » de Ildefonso Falcones.
- Chez les réalisateurs de films, comme par exemple celui qui vient d´être réalisé par la Casa Arabe de Madrid, intitulé « Les expulsés de 1609. Une tragédie musulmane », qui raconte justement l´histoire d´une famille de morisques expulsée d´Aragon et qui s´installa en Tunisie. Il va être projeté incessamment à la TV2.
- Même chez les hommes politiques, il existe une certaine reconnaissance historique de cette tragédie humaine : comme par exemple le 26 novembre 2009, le Congrès des députés a reconnu institutionnellement pour la première fois dans l´Histoire cette « injustice » que l´Espagne a fait endurer aux morisques. Même la voix du grand spécialiste Tunisien du thème morisque, A.Temimi, s´est élevée pour que le roi d´Espagne reconnaisse officiellement cette injustice, comme il l´a fait pour les juifs persécutés par le Tribunal d´Inquisition.
Je reviendrai sur ce point, c´est à dire sur la production historiographique européenne principalement espagnole et française, ainsi que sur la production historiographique maghrébine relative aux morisques. Mais avant de l´aborder, j´essayerai de montrer d´abord qui sont ces morisques, quelle a été leur trajectoire historique et comment ils ont subi dans leur propre chair un déchirement identitaire musulman/chrétien, dans un pays de conception religieuse catholique dans sa nouvelle forme d´Etat, jusqu´à leur expulsion vers le Maghreb ou ailleurs.
1) Changement de statut mudéjar au statut morisque :
1.1 Capitulations de Grenade du 25 novembre 1491.
Après la reddition du roi déchu Abdellah et avant l´entrée triomphale des R.C. à Grenade au début de l´année 1492, des accords appelés Capitulations de Grenade furent signés le 25 novembre 1491 entre les deux parties qui stipulaient que les musulmans qui y restaient - estimés à plus de 300.000 - seront autorisés à conserver leur religion, leur langue, leurs coutumes et leurs biens. Précisément sur ce point là, l´article 3 est très clair, il stipule ceci :« Es asentado e acordado que a ningún moro o mora se hara fuerza a que se tome cristiano ni cristiana » (Il est établi et accordé que l´on ne forcera aucun musulman ni musulmane à devenir chrétien ou chrétienne). Cela veut dire tout simplement qu´ils seront libres d´exercer leur religion. A part quelques élites musulmanes, qui craignaient la cohabitation avec les chrétiens, se sont exilés au Maghreb, tout le reste de la population musulmane accepta d´y rester. Ils seront appelés Mudéjares comme les autres musulmans qui vivaient dans d´autres régions péninsulaires reconquises auparavant par les rois chrétiens.
Il y a lieu de signaler à ce sujet là que ceux du royaume de Castille sont au nombre de 20.000 à 25.000 personnes, ceux de la Couronne d´Aragon 80.000, regroupés essentiellement dans le royaume de Valence, et ceux de Navarre représentaient 3.000 à 3.500, dont la plupart d´entre eux se consacraient à l´agriculture, l´artisanat, le petit commerce et la pêche.
1.2 Premières intimidations suivies de protestations:
Dans un premier temps, ces accords ont été plus ou moins respectés sous l´égide de l´archevêque de Grenade Hernando Talavera, bien que parallèlement il existait une campagne de sensibilisation qui avait pour objet de les convertir au christianisme par voie pacifique, mais sans succès. Mais, les choses vont changer radicalement quelques temps après, en juillet 1499, concrètement avec l´arrivée à Grenade de l´archevêque de Tolède le Cardinal Francisco Ximénez de Cisneros. Une nouvelle situation commença à s´imposer progressivement vis à vis de ces « mudéjares » en appliquant des méthodes énergiques de christianisation et en augmentant arbitrairement la pression fiscale. Cette série d´intimidation fut accompagnée aussi par d´autres méthodes répressives qui avaient pour objet de faire disparaître leurs repères identitaires. Par exemple en 1500, un gros lot de livres conservées dans la bibliothèque de Grenade fut confisqué, dont une partie importante composée de textes religieux tels que le Coran et autres furent brûlés publiquement dans une place du centre de la ville appelée Bibirambla, et une autre partie composée d´ouvrages scientifiques qui furent transférés à l´Université d´Alcalá de Henares. Il paraît que ces faits se sont produits en l´absence et sans le consentement des R.C. Mais rien n´a été fait de leur part pour le retenir.
Evidemment, ces mesures de provocation furent rejetées catégoriquement par l´ensemble de la communauté musulmane qui se traduisirent par des mouvements de protestation qui embrasèrent las Alpujarras , et les montagnes de Ronda au courant des deux années 1500-1501.
Malheureusement ces révoltes populaires furent rapidement réprimées par les autorités locales au début de l´année 1501.
1.3 Le Décret Royal de conversion ou d´expulsion du 14 février 1502 :
Finalement, pour mettre un terme à cette situation, les R.C. décrétèrent l´édit du 14 février 1502, qui ordonnait à tous les musulmans de Grenade de choisir entre la conversion ou l´expulsion, à l´exception des garçons de moins de 14 ans et des filles de moins de 12 ans. Evidemment, ce Décret Royal supposa la violation de l´engagement pris par les R.C. par rapport au texte des Capitulations de novembre 1491 quant au respect de la religion, la langue et les coutumes des musulmans. Quelques uns parmi eux ont refusé catégoriquement cette conversion en choisissant de prendre volontairement le chemin de l´exil. D´autres, et c´est la majorité d´entre eux, se sont convertis au christianisme.
Même les mudéjares des autres régions de la couronne de Castille qui vivaient pacifiquement sous la domination chrétienne furent touchés par ce nouveau Décret royal. Par la suite, de 1516 à 1525, ce sont ceux de Navarre d´Aragon et de Valence qui furent touchés également par cette mesure. Théoriquement, à partir de cette date on peut dire il n´y avait plus de musulmans en Espagne. Ils sont passés du statut « mudéjar » au statut morisque ou «nouveaux chrétiens».
2. Echec de la politique d´assimilation :
2.1 Double vie des nouveaux chrétiens :
Mais nul n´ignorait que ces nouveaux convertis au christianisme continuaient de pratiquer secrètement leur religion respective, en essayant de montrer publiquement qu´ils étaient chrétiens. En effet la «thaquilla» permettait aux morisques de pratiquer secrètement leur religion, en essayant d´apparenter une intégration totale dans le monde chrétien. Ils pratiquaient le jeûne durant le mois de Ramadhan, célébraient les fêtes religieuses, apprenaient à leurs enfants l´arabe et la religion musulmane, s´abstenaient de manger la viande de porc, continuaient de circoncire leurs enfants, etc.
2.2 Durcissement des mesures répressives :
Sous le règne de Philipe, ces pratiques constituaient un sérieux obstacle à la politique d´intégration de la minorité morisque dans la société chrétienne. Finalement en 1556, le Conseil de Castille décréta d´autres mesures répressives. A partir de cette date, les nouveaux-chrétiens d´Espagne vont connaître un durcissement de la politique d´assimilation menée par Philippe II qui se traduit par une dure répression jamais vue auparavant. Des mesures ont été prises pour leur faire perdre leurs identités culturelles. Désormais, il leur est interdit de parler en arabe, de célébrer leurs fêtes traditionnelles, de porter le voile ou de porter leurs vêtements musulmans qui les distinguaient des autres, de se rendre aux bains publics , etc. Pour cela il donna des ordres stricts pour que le Tribunal d´Inquisition redouble d´intensité pour poursuivre et punir toute forme d´hérésie. La Cour d´Espagne l´utilisait également à des fins politiques pour mettre au pas la noblesse valencienne protectrice de ses vassaux morisques.
A partir de là, ils commençaient à se sentir complètement marginalisés, avec leur manière d´être et leur manière de vivre. Ils se considéraient comme une communauté ou un groupe social cloisonné du reste de la société espagnole.
Soupçonnés de complicités avec les corsaires maghrébins qui attaquaient fréquemment le littoral méridional espagnol.
2.3 Soulèvement des morisques (1568-1570):
C´est justement dans cette conjoncture défavorable qu´éclata un soulèvement morisque qui commença d´abord dans le quartier d´Albaicin de Grenade y s´étendit tout de suite après dans les montagnes d´Alpujarra et de Ronda pendant presque trois ans, de 1568 á 1570. Ce soulèvement fut dirigé par Aben Humeya, avec l´intention de reconstituer l´ancien royaume musulman de Grenade, en comptant sur l´aide militaire sollicitée au Sultan turc et qui n´arriva jamais - parce qu´au même moment la flotte ottomane était déjà mobilisée au front oriental de la Méditerranée, à Lépante, pour faire face à la Real Armada espagnole en 1571- Cette rébellion fut difficilement réprimée par le frère de Philippe II, don Juan d´Autriche. Une fois la révolte étouffée, 80.000 à 100.000 personnes furent déportées et dispersées dans des conditions difficiles et inhumaines, dans d´autres régions d´Espagne durant l´hiver 1570-71, principalement à Castille et la Mancha,
Malgré d´autres mesures plus répressives qui ont été prises par les autorités locales, ces morisques continuaient à pratiquer secrètement leurs propres religions et à conserver leurs propres cultures et leurs propres coutumes.
3. De la cohabitation difficile á l´expulsion :
3.1 Cohabitation difficile avec les vieux chrétiens :
Pour ce qui est de leurs relations avec des vieux-chrétiens, on peut dire que ceux-ci étaient collectivement hostiles à leur égard. Louis Cardaillac a montré dans son livre l´ambiguïté des relations entre ces deux communautés qui ne mettait jamais le morisque à l´abri d´une surprise désagréable : « Une confidence, une réflexion spontanée interrompent subitement cette familiarité et conduisent le morisque devant l´Inquisition. Comme par exemple ce fut le cas d´un artisan menuisier Jerónimo Carrión, qui travaillait à Burgos, et résidait à Valence, et qui, avant son départ ,un compagnon chrétien l´invita à manger une pâte farcie contenant la viande de porc, que le morisque refusa de manger. Ce refus lui a voulu d´être conduit au Tribunal d´Inquisition.
Il faut dire aussi que ces vieux chrétiens les considéraient comme des concurrents redoutables qui s´enrichissaient facilement par leurs activités artisanales et commerciales. Ces sentiments de crainte et d´envie contribuaient également à alimenter la haine populaire.
Des manifestations de haine s´expliquent aussi par la peur. La peur permanente à l´insurrection, la peur d´être enlevés par des corsaires Algériens, la peur de séquestrer des enfants chrétiens pour les élever dans les pays maghrébins.
L´aversion des chrétiens envers les morisques augmenta aussi en croyant qu´ils représentaient une race bâtarde, par le fait que les musulmans descendaient d´Ismaël, le fils de l´esclave d´Agar, tandis que les chrétiens descendaient directement d´Issac .Entre les uns et les autres apparaissait donc toute la différence qui existe entre la lignée noble et une autre servile. Les morisques ,très sensibles à cet argument, essayaient de réhabiliter Ismaël selon le Coran - à travers leur littérature aljamiada - .Cette vision raciste de l´histoire, justifiait que les musulmans, de même que les juifs soient inclus dans les statuts du nettoyage de sang, qui furent créés pour éviter toute contamination avec ces races.
Ainsi donc, cette aversion ainsi que les accusations sans fondements du reste de la société de l´époque, exprimaient tout l´abîme qui séparait les deux communautés. C`est pour cela que leur expulsion préconisée par quelques voix autorisées, trouvera un immense écho populaire. Cependant, pour F. Braudel cette expulsion s´explique par le fait que le morisque est resté inassimilable, pour avoir choisi de tourner le dos au monde occidental.
3.2 Expulsion de 1609-1614 et ses conséquences:
A plusieurs reprises, la couronne d´Espagne avait l´intention de décréter cette mesure, mais à chaque fois elle est différée à cause des pressions de la noblesse aragonaise et valencienne que bénéficiait encore du régime seigneurial de semi esclavage des morisques, mais aussi de bon nombre d´hommes d´Eglise qui défendaient l´idée de leur laisser encore plus de temps parce que, selon eux, une conversion totale exigerait un contact plus prolongé avec les croyances de la société chrétienne. Et même si au sein de l´opinion publique une grande partie était en faveur de leur expulsion, il y avait encore une petite frange de la population qui pensait qu´il faudrait mieux leur laisser le temps pour mieux mener à bien leur évangélisation.
Finalement et curieusement, après 117 années de difficile cohabitation, la décision d´expulsion des morisques fut communiquée le 22 septembre 1609 par le favori et le premier secrétaire d´Etat du roi Philippe III, le Duc de Lerma, lui-même marquis de Dénia, seigneur des morisques et porte parole de la noblesse valencienne, qui considérait ces morisques comme une cinquième colonne prête à faire alliance avec la Régence d´Alger et même avec les protestants.
3.2.1 Répartition géographique de cette communauté :
Ainsi donc, on estime qu´il y avait en Espagne, à la veille de cette expulsion, prés de 368.000 à 400.000 morisques. D´autres estimations avancent le chiffre de 500.000 sur un total de 8 millions d´habitants.
Si on se réfère à quelques historiens espagnols nous constatons que leur répartition géographique la communauté morisque est inégale ,c´est à dire :
- 135.000 dans la région de Valence. Ils représentaient prés de 33% de la population de cette région.
- 116.000 à Castille et Estrémadure. Ils représentaient prés de 20% de la population de ces 2 régions.
- 61.000 à Aragon.
- 32.000 en Andalousie.
- 16.000 à Murcie.
- 8.000 en Catalogne
Donc, c´est à partir du 22 septembre 1609, que ces morisques furent dirigés vers les différents ports du royaume d´Espagne, dans des conditions lamentables. Hommes , femmes et enfants se rendirent à pied de l´intérieur des terres vers ces ports. Les plus privilégiés, durent eux même payer à des prix forts leurs nourritures et les frais de transport.
- Il y a lieu de signaler que pour éviter ces désagréments, un nombre important de morisques du Nord d´Espagne, principalement ceux de Navarre et d´Aragon et même de Castille - estimés à 150.000 personnes - se dirigèrent vers la France où ils trouvèrent refuge dans le midi et même en Italie (en Toscane). Mais là aussi ils étaient mal accueillis. Peu d´entre eux y restèrent dans ce pays. Le plus gros lot de ces morisques, s´embarquèrent à Marseille dans des navires français frétés par leur propre compte à destination d´Alger (Les Tagarins ), de Tunis et de la Turquie , ou s´installèrent en Syrie et à Istanbul dans un quartier appelé « Galata ».
- Evidemment, pour transporter toute cette population vers la côte maghrébine, l´Espagne s´est vue obligée d´utiliser, durant toute la période comprise entre 1609 et 1614, une partie importante de sa flotte navale de la Real Armada et une partie des navires de transport privé.
- A la fin du mois de septembre et début d´octobre 1609, on commença d´abord par transporter les morisques de Valence au nombre de 135.000 morisques qui furent débarqués sur la côte oranaise et reçu par el Capitaine général d´Oran le comte d´Aguilar, pour les acheminer ensuite vers Tlemcen avec l´accord de son gouverneur. Par la suite beaucoup d´entre eux se sont dirigés vers Nédroma, Alger, dont quelques uns trouvèrent refuge à Mostaganem, Miliana, Cherchell et Blida.
- A peu prés à la même date, ceux d´Estremadura débarquèrent via le Portugal sur la côte marocaine. Ils s´installèrent dans des meilleures conditions, notamment à Rabat, Fès, Tanger, Tétouan et Salé. D´ailleurs c´est dans ce port là que se créa une des plus redoutable république corsaire de l´Atlantique.
- Ensuite au cours de l´année 1610 et les années suivantes, ce sont les morisques de d´Aragon, de Catalogne et de Castille qui furent transportés vers les côtes d´Alger et de Tunisie. Ils étaient très bien accueillis par les autorités politiques et la population tunisiennes. Ils se sont installés à Tunis et Testour
- Il y a lieu de signaler aussi qu´une partie d´entre eux partit dans des circonstances imprévues et inattendues en Amérique latine surtout au Mexique, République Dominicaine, Colombie, Equateur, Venezuela, Argentine, Pérou et Chili.
3.2.2 Conséquences de l´expulsion en Espagne.
Dernièrement, on a trop polémiqué sur les conséquences économiques et démographiques de cette expulsion en Espagne. Il y a ceux qui minimisent les dégâts subis par ce départ massif et ceux qui essayent d´analyser cette situation sur des bases scientifiques. Mais les uns comme les autres reconnaissent que les conséquences économiques étaient :
- Nulles pour les régions du Nord.
- Appréciables mais limitées à quelques provinces de Castille.
- Insignifiantes pour la Catalogne.
- Très sévères pour Aragon.
- Catastrophiques pour Valence.
D´une manière générale, on peut dire que ces deux dernières régions ont subi une crise tellement profonde et durable qui a eu des répercussions sur l´ensemble de l´économie espagnole
3.3.3 Conséquences de l´expulsion au Maghreb :
Par contre, du côté de l´autre rive de la Méditerranée, on peut dire que cette expulsion des morisques a apporté un souffle nouveau à l´économie des pays maghrébins, et cela grâce à leur grand savoir faire technique dans les domaines de l´agriculture ,de l´artisanat et du commerce. Du côté de la course musulmane en Méditerranée occidentale, particulièrement algérienne, nous pourrions dire qu´elle a connu son deuxième âge d´or tout le long du XVII siècle, et cela grâce aux renseignements fournis par les morisques sur le littoral de la péninsule ibérique .
4. Mise au point de la production historiographique relative aux morisques.
4.1 Production historiographique espagnole et française:
- XVI et XVII siècles :
Par exemple si nous nous référons aux XVIème et XVIIème siècles espagnols, nous remarquons que seulement trois chroniqueurs espagnols Hurtado Mendoza, L. Marmol Carvajal et G.Pérez de Hita se sont référés aux soulèvements des morisques de Grenade de 1568-1570. Sur l´expulsion des morisques (1609-1614), on peut relever quatre ouvrages panégyriques de
J. Bleda, Javier Marcos, D. Fonseca et J. Aznar, marqués par leur caractère apologique et qui considèrent la décision prise par le roi Philippe III, comme une mesure politique et religieuse juste. La littérature du siècle d´or de l´époque, aussi, était en faveur des mesures prises par les autorités espagnoles à leur égard, sauf Calderon de la Barca qui avait, pour eux, des sentiments humanitaires dans sa comédie Amar después de la muerte. Même M. de Cervantès dans la 2ème partie de Don Quichotte ébauche, à travers ses personnages, l´image d´une autre Espagne dans laquelle il serait possible à un vieux chrétien (Sancho Panza ) de dialoguer en paix avec son voisin morisque (Ricote).
Du XVIIIème à la 1ièremoitié du XIXème siècle :
Au XVIIIème siècle et à 1a moitié du XIXème siècle, le thème sur les morisques a connu une longue période de silence. A peine si Campomanes et Urquijo faisaient allusion à eux dans leurs écrits.
- 2ième moitié du XIXº siècle :
Durant la 2ème moitié du XIXe siècle, il « revient sur le tapis » mais sans susciter un grand enthousiasme. Pour les historiens conservateurs, comme J. Muñoz y Gaviria, Dánvila y Collado, Cánovas del Castillo, Menéndez y Pelayo, l´expulsion est justifiée du point de vue politique et religieux, parce qu´ils considéraient la religion catholique comme un élément constitutif de la nation espagnole. La question des morisques est posée par eux comme un affrontement racial, et cela depuis 711 à 1609. Par contre les historiens libéraux de la même période, comme F.Janer, P.Boronat, Albert de Cirou, Henry C. Lea et Vicente Boix, ont défendu systématiquement cette minorité, en attaquant la politique impériale de leur propre pays.
- Fin du XIXème et 1ière moitié du XXème siècle :
Encore une fois, le thème de cette minorité va tomber dans l´oubli fin du XIXème première moitié du XXème siècle, parce qu´on estimait que celui-ci a été suffisamment étudié et qu´on ne pouvait rien ajouter de nouveau.
Ce silence s´est poursuivi sous le gouvernement franquiste parce que pendant ces années là l´empire des Habsbourg était mythifié et considéré comme un âge d´or de l´histoire moderne d´Espagne. Donc, il n´était pas question de l´assombrir en évoquant cette minorité dissidente politiquement et religieusement. Par contre, à l´extérieur du pays, cette minorité marginalisée commença à susciter l´intérêt des historiens Espagnols de l´exil, comme Américo Castro y Sánchez Albornoz, qui entrèrent dans une grande polémique à partir des années 50.
- 1970- 2009 :
- Ecole des Annales de Paris:
Ce n´est qu´à partir des années 70 que le problème des morisques a été repris et réétudié par des historiens étrangers de l´Ecole des Annales sur des bases scientifiques, en le considérant comme un conflit de civilisations, comme ce fut le cas de F. Braudel et H. Lapeyere, Halperon, et de leurs disciples Luis Cardaillac (sur les morisques de Languedoc), Benassar, Halperin Dongui et d´autres…
- Ecoles régionales espagnoles :
Cette nouvelle démarche de recherche fut suivie par la création d´autres écoles régionales en Espagne dont les thèmes de recherche sont axés essentiellement sur des études monographiques régionales, comme par exemple, celles de Valence (de J. Reglà,) , d´Aragon, (de R.Robles, García Cárcel, Ciscar Pallares), de Castille ( de B. Vincent, A. Dominguez Ortiz, Martinez Ruiz, Jordi Nadal, G. Arenal). D´autres thématiques ont surgi durant ces dernières années, orientés vers la littérature aljamiada (Galmes de Fuentes), vers la médecine morisque, vers les particularités alimentaires des morisques, etc.
- Courant d´arabistes espagnols :
Il faudrait ajouter un autre courant d´arabistes dont M.de Epalza fut le promoteur et dont l´essentiel de ses publications tourne autour de la thématique morisque, comme par exemple son grand ouvrage intitulé « Los moriscos antes y después de la expulsión ».
4.2 Production historiographique maghrébine:
Il y a lieu de souligner que historiens et universitaires Tunisiens et Marocains se sont penchés sérieusement sur cette question il y a plus de 3 décennies, en apportant beaucoup d´éléments nouveaux sur cette catégorie sociale, quant à leur insertion dans leurs pays respectifs au début du XVIIème siècle. Par exemple en Tunisie, la Fondation Temimi consacre une partie importante de ses activités de recherche et organise fréquemment des rencontres et des symposiums internationaux sur la thématique morisque.
Malheureusement, ce n´est pas le cas en Algérie. Evidemment, on se demande pourquoi ce désintéressement de la part de nos historiens ou de nos universitaires. D´ailleurs, souvent dans leurs écrits, ils confondent les premiers exilés musulmans avec les morisques en mettant tout dans le « même moule », en les appelant tous des Andalous.
Conclusion: Perspectives de recherche.
Donc, il est temps de se mettre au travail pour dissiper les coins sombres de cette partie de notre histoire, parce que jusqu´à l´heure actuelle un silence morbide règne tout autour de cette catégorie sociale quant à son insertion, son intégration, son évolution ainsi que sa contribution économique dans le développement du pays au XVIIème siècle. C´est vrai que les sources manuscrites locales, arabes ou turques sont très rares voire inexistantes en Algérie, mais cela ne nous empêche pas de suivre quelques pistes de recherche comme l´ont si bien fait les historiens Tunisiens et Marocains, en partant de quelques traces ou des signes actuels, pour remonter ensuite jusqu´au début du XVIIème siècle. Je pense que les registres du beylik et de beït el mel de l´époque turque ainsi que les rapports des gouverneurs espagnols d´Oran ou les procès verbaux des Tribunaux d´Inquisition des principales villes portuaires de la rive méridionale de la péninsule ibérique du XVIIe siècle qui sont conservés dans leurs archives provinciaux ou dans l´Archivo General de Simancas , pourraient éventuellement nous apporter de nouveaux éclaircissements sur leur insertion dans la société algérienne de l´époque.
Bibliographie:
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BRAUDEL, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l´époque de Philippe II, Paris, 1966.
BUNES IBARRA, Miguel Ángel, Los moriscos en el pensamiento histórico. Histórico. Historiografía de un grupo marginado, Madrid, 1983.
CARDAILLAC, Luis, Morisques et chrétiens, un affrontement polémique (1492-1640), Paris, 1977
CARO BAROJA, Julio, Los moriscos del Reino de Granada. Ensayo de historia social, Madrid, 1957.
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DOMÍNGUEZ ORTIZ, A., VINCENT, B., Historia de los moriscos. Vida y tragedia de una minoría, Madrid, 1978.
EPALZA, Mikel de, Los moriscos antes y después de la expulsión, Madrid, 1992.
GARCÍA CÁRCEL, R., Herejía y sociedad en el siglo XVI. La inquisición en Valencia (1530-1609), Madrid, 1980.
GARCÍA ARENAL, Mercedes, Inquisición y moriscos. Vida y tragedia de una minoría, Madrid, 1978.
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HURTADO de MENDOZA, Diego, Guerra de Granada hecha por el rey de España don Felipe II contra los moriscos de aquel reinado, sus rebeldes, Madrid, 1852.
LAPEYERE, Henri, Géographie de l´Espagne morisque, Paris, 1959.
MARMOL CARVAJAL, Luís, Historia de la rebelión de los moriscos del reino de Granada y castigo de los moriscos del Reino de Granada, Madrid, 1852.
MUÑOZ Y GAVIRIA, José, Historia del alzamiento de los moriscos, su expulsión de España y sus consecuencias en todas las provincias del Reino, Madrid, 1861.
PÉREZ de HITA,Ginés, Guerras civiles de Granada , Cuenca, 1619.
Source: Mémoire de la méditerranée
Erratum "Limpieza de sangre": pureté du sang et pas "nettoyage". Cela me rappelle une amie marocaine musulmane qui ne voulait pas se marier avec son amant chrétien parce que son père disait que cela "casserait la lignée".
ReplyDeleteLa victimisation est mauvaise et faire croire que ce racisme est à sens unique est un mensonge