Un retour de civilisation «hispanisant»
On parle souvent d’un bon «retour d’investissement» s’agissant d’un projet. Le livre d’Ahmed Hamrouni Andalusiyyât Zbiss, édité par le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, avec le concours de Tunisie-Télécom, qui livre la quintessence des «études andalouses de Slimane Mustapha Zbiss», vient nous décrire comment le rôle civilisateur des Arabo-Musulmans d’Espagne a vu son flux s’inverser, au XVIIe siècle, en faveur du Maghreb en général et de la Tunisie tout spécialement.
Chassés, en 1609, par le roi Philipe III d’Espagne, les Morisques musulmans, quelque peu christianisés depuis la chute de Grenade en 1492, ne savaient déjà presque plus l’arabe. Ils «émigrèrent dans tous les sens, vers la France et l’Italie, mais surtout vers le Maroc, l’Algérie et la Tunisie», raconte Slimane Mustapha Zbiss qui précise que «c’est surtout en Tunisie que ces Morisques allaient être le mieux reçus».
Pour feu Slimane Mustapha Zbiss, lui-même d’origine andalouse, cette migration marque sans conteste un retour de civilisation. «Le Dey Othman, qui gouvernait le pays à l’époque, écrit-il, savait que les nouveaux venus apportaient à la Tunisie le concours de leurs multiples capacités, sur le plan artisanal, et même industriel, ainsi que dans le domaine agricole. Mais ils vont s’imposer beaucoup plus, et d’une façon encore sensible de nos jours, dans le domaine culturel, en transformant profondément la vie tunisienne et en l’“hispanisant” très largement».
Les nouveaux venus vont installer leur «murkadh» (de «mercado», marché) à Ras Eddarb, et étendre le quartier des Andalous jusqu’au faubourg de Bab Souika sous l’appellation d’«Al Vega» devenue, en arabe, «El Biga». Alors que dans le quartier de Bab Al Jazira, le mausolée du saint Sidi Ali Al-Andalusi témoigne de la parfaite intégration des arrivants.
Né en 1913 à Testour, et décédé il y a deux ans jour pour jour, Slimane Mustapha Zbiss est, tout comme l’auteur, natif de Testour, cette cité tunisienne andalouse jusqu’au bout des ongles.
Richesse de la thématique, diversité de la matière
Le livre de Ahmed Hamrouni regroupe, dans le désordre, un nombre important d’écrits de Zbiss parus dans des revues spécialisées et différents périodiques, et rend publics, pour la première fois, des manuscrits que le défunt lui avait confiés personnellement.
Andalusiyyât Zbiss comporte une partie arabe de 204 pages et une section française de 124 pages truffée de textes en espagnol. C’est un livre aussi difficile à lire qu’extrêmement enrichissant. On y fait la connaissance d’un historien de l’Espagne musulmane nommé Ibn Hayyâne de Cordoue, on se familiarise avec les Almoravides, les Almohades et les Bani Ghania, ainsi qu’avec l’œuvre de deux grands savants valenciens : Abû Al-Mutarrif Ibn Amira et Muhammad Ibn Al-Abbâr.
La richesse de la thématique, le nombre des textes exploités, la diversité de la matière font que le livre d’Ahmed Hamrouni est quelque peu dispersé malgré sa très nette coloration andalouse. Biographies, études architecturales (mosquées de Soliman et de Cordoue), descriptions de sites et monuments morisques d’Espagne et de Tunisie, approches historiques à propos d’événements importants… tout ce qu’a laissé Slimane Mustapha Zbiss à propos des Andalous est rassemblé dans cet ouvrage où l’auteur a tenté un classement scientifique ponctué d’annotations de nature à guider le lecteur.
Ce livre, conçu comme un hommage à l’œuvre de Zbiss et son apport dans le domaine des études morisco-andalouses, est une compilation de textes disparates auxquels, autrement, les chercheurs n’auraient pu avoir accès. C’est notamment le cas du travail que le défunt, en sa qualité de membre de l’Académie royale d’histoire, à Madrid, a mené sur les Banou Ghania. Des travaux publiés en Espagne, en langue espagnole.
Slimane Mustapha Zbiss
Fuente: La Presse
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