L’objet de cette importante étude d’André Raymond est la ville de Tunis pendant la période qui va de la conquête ottomane de 1574 à l’avènement de Husayn Bin ‘Alî, fondateur de la dynastie des Husaynites, en 1705. Au sujet de ce long xviie siècle, dominé par la période mouradite (1613-1702), qui donne son titre à l’ouvrage, l’auteur a su reconstruire le panorama d’une ville dont notre connaissance était jusque-là centrée sur la vision qu’en avait donnée Paul Sebag et sur la perspective des travaux de transformation de la ville exposée dans le livre fondateur de Ahmed Saadaoui 1. L’angle de vue choisi par André Raymond, qui ne manque pas de rendre hommage à ces historiens, ainsi qu’à Jean Pignon, à la mémoire duquel le livre est dédié, permet d’adjoindre à cette dimension une volonté de mettre en relation chronologie politico-dynastique, morphologie urbaine et évolution sociale. André Raymond, qui après avoir travaillé sur le cas tunisois dans ses années de jeunesse, a donné à la recherche historique sur le monde arabo-musulman certaines de ses plus belles pages, au sujet de villes aussi diverses que le Caire ou Alep, opère avec cet ouvrage un retour en Tunisie, qui marque également un moment important pour l’historiographie locale.
Le livre est organisé en trois parties. La première est conçue comme une présentation de la chronologie et des principaux événements qui ont marqué la période. Ce choix permet à l’auteur de se concentrer dans la deuxième et la troisième parties sur respectivement les catégories ethnico-sociales de la population et les caractéristiques de l’économie et de l’administration urbaines. Le livre est pourvu d’un index des noms de personnes et de groupes, d’un index des noms de lieu et de huit cartes de Tunis ainsi que d’une riche bibliographie et d’une liste des documents d’archives utilisés. Ceux-ci sont principalement ceux des Archives nationales tunisiennes (registres fiscaux), des Archives des Domaines de l’État tunisien (registre des biens habous, inventaire des mosquées), de la Bibliothèque nationale tunisienne (biens habous) et des Archives de la Chambre de commerce de Marseille (séries consulaires) 2. Il faut ajouter à cela l’exceptionnelle richesse, à laquelle André Raymond rend hommage, des documents du Consulat de France à Tunis publiés par Pierre Grandchamp en 1920. On peut noter d’emblée que le choix a été fait de ne pas utiliser les riches fonds ottomans conservés aux Archives centrales de l’Empire à Istanbul et aux archives du Musée de Topkapı. On y trouve de multiples registres, correspondances, pétitions et données administratives et militaires qui auraient pu être mises à profit dans cette étude sur la ville de Tunis dans la première période ottomane. On verra que ce choix a également des conséquences dans la mesure de l’ottomanité de la ville par l’auteur. Mais sur la base de ce choix archivistique tunisois et français, qui, au-delà de l’aspect souligné précédemment, a une grande pertinence, complété par la lecture de diverses chroniques et récits de voyages, soit contemporains soit postérieurs à la période concernée, et d’une riche documentation bibliographique, André Raymond parvient à donner à son étude une orientation attrayante, qui apporte à la recherche de nombreux éléments de connaissance.
Dans son introduction, l’auteur justifie tout d’abord l’extension à un large xviiesiècle de l’appellation mouradite, au-delà donc des limites chronologiques de la dynastie, par l’empreinte profonde qu’ont eu les gouvernants appartenant à cette lignée sur l’histoire et l’aspect de la ville. On le suit volontiers dans cette direction tant son exposé de l’importance des mouradites dans la structuration de la province nouvellement ottomane est convaincant.
La partie chronologique permet de préciser certains des points essentiels relatifs à la période. Elle commence par une analyse du déclin des Hafsides entre les années 1480 et la conquête ottomane. André Raymond, dans un mouvement braudélien, replace ce phénomène dans le contexte de l’affrontement séculaire entre puissances espagnole et ottomane pour le contrôle de la Méditerranée occidentale. Après les épisodes de 1535, qui voient l’Espagne de Charles Quint soutenir la dynastie déclinante dans le but de protéger l’Italie de l’avancée ottomane qui se concrétise en Tunisie, les Hafsides ne sont plus que les paravents locaux de la domination espagnole et ne savent pas jouer des conflits majeurs de l’époque pour asseoir leur pouvoir. Avec la victoire des Ottomans en 1574, et surtout l’accord de 1578 avec Philippe II, il devient clair que la Tunisie deviendra province ottomane. André Raymond consacre son second chapitre aux efforts impériaux d’organisation de cette nouvelle entité provinciale. Il s’attache à décrire les symboles de la manifestation de la suzeraineté ottomane dans la vie locale et les attributions des premiers pachas tunisois. Il analyse également la révolte des janissaires en 1591, qui amena un profond remaniement de l’organisation initiale, avec la création de la fonction de dey. En 1609, l’afflux à Tunis de nombreux réfugiés morisques d’Espagne change de nouveau la donne locale. L’auteur est attentif également aux développements de l’économie de course, dans le contexte du nouvel équilibre méditerranéen. Ce qui manque peut-être à ce chapitre, c’est une réflexion sur les modalités de l’insertion dans l’ensemble impérial ottoman. À partir des conditions d’exercice du pouvoir par les premiers deys, il aurait sans doute été possible de réfléchir, d’une manière éventuellement comparée avec d’autres provinces nouvellement intégrées, à la signification et aux implications concrètes de l’appartenance impériale. On aurait ainsi pu disserter plus avant sur la nature de l’Empire et celle de l’identité locale, provinciale tunisienne et urbaine tunisoise. Peut-être aussi aurait-on pu, mais le choix d’une partie chronologique ne le permettait pas vraiment, étudier les modalités de ralliement à l’Empire des élites commerciales et professionnelles urbaines, et ainsi déceler le jeu de factions à l’œuvre dans les mécanismes complexes du rattachement. Il aurait de même été pertinent de donner plus de détails sur les origines des deys qui montrent que, loin d’être gouvernée par les Turcs pendant cette toute première période ottomane, Tunis l’était par des Ottomans de diverses origines. Une attention aux archives centrales de l’Empire ottoman aurait de plus permis de mieux connaître les modalités de validation par Istanbul de choix de pouvoirs locaux dont on a trop l’impression à lire André Raymond qu’ils n’ont ni résonance ni écho dans la capitale impériale. Peut-être aussi n’était-il pas entièrement pertinent pour cette période de reprendre en français l’appellation « Régence » sans en discuter l’origine étymologique en arabe et en turc ottoman et sans pointer le moment où, selon les degrés divers d’autonomie locale et dynastique, l’usage de ce terme a évolué. Le troisième chapitre est consacré aux débuts proprement dits de la dynastie mouradite. André Raymond choisit pour expliciter les ressorts qui animent cette période l’entrée linguistique, avec la distinction entre dey et bey. Entre l’époque de Yûsuf dey et celle de Murâd bey, dont les origines corses sont à juste titre soulignées, quelque chose change en effet dans la nature du pouvoir dans une province dont les limites se stabilisent. André Raymond analyse avec grande habileté les épisodes relatifs à la succession de Yûsuf dey et de Murâd bey dans les années 1630. La lecture du parcours d’Ustâ Murâd, autre converti d’origine corse, est à ce sujet passionnante, même si l’on aurait pu attendre que les réflexions sur la place desdits renégats dans l’administration impériale en province tunisienne débouche sur une analyse de la manière avec laquelle l’Empire gérait son occident africain. Le chapitre 4, consacré à l’apogée mouradite des années 1640-1675, montre combien c’est l’ascendant pris par le fils de Murâd bey (1613-1631) et d’une captive corse, le bey Hammûda, sur le dey qui pose les bases d’un nouvel équilibre où les pouvoirs sont clairement entre les mains du premier. Les sources ottomanes auraient peut-être permis d’expliciter les modalités du passage héréditaire de la fonction et surtout le rôle des notables locaux dans l’appui à la naissante dynastie. Mais l’auteur parvient tout de même à dresser un tableau précis des réalisations de celui qui est resté comme un des grands pachas de l’époque ottomane. Ce qui fit le succès de Hammûda, c’est également le soutien et la proximité du sultan d’Istanbul, Murâd II. Les mouradites sont ainsi autant le produit du Murâd de Tunis que celui de la capitale impériale. Pour le compte de l’Empire, Hammûda fit œuvre de « pacification » de l’intérieur de la province, en réduisant les rébellions décrites comme tribales à l’ordre impérial qu’il incarnait pour la province. André Raymond présente les réalisations architecturales de l’époque à Tunis en liaison avec les succès du bey. Il montre également comment cela a participé de l’effort du bey de se faire reconnaître progressivement comme monarque. Le titre de pacha, conféré par l’Empire en 1658, va dans ce sens, de même que la reconnaissance de la province comme Régence par plusieurs puissances européennes. Murâd II, fils de Hammûda, consolida cette œuvre, mais dut affronter de nombreuses difficultés, notamment autour de la soumission des deys. On entrevoit dans la narration que fait André Raymond de ces péripéties que les factions urbaines avaient aussi leur importance dans la résolution des conflits. Mais le sujet n’est pas abordé de front. Le chapitre 5, qui conclut la partie chronologique, est consacré à la fin de la dynastie dans le dernier quart du xviiesiècle, entre-guerre de succession, le règne de Muhammad bey et la décomposition dynastique qui suivit.
Si cette partie chronologique a pu permettre de dresser un tableau classique mais vivant du déroulement des événements qui ont marqué Tunis au xviie siècle, la partie ethnique et sociologique est plus contestable dans ses fondements. Pourquoi reprendre forcément pour la description de la société tunisoise les catégories discutables d’une classification religieuse et ethnique sédimentée entre période d’un regard orientaliste, période coloniale, et regard nationaliste rétrospectif alors que tout indique que les contemporains ne résonnaient pas forcément selon ces catégories et en tout cas ne leur donnaient pas la prééminence. Les sources, qui certes donnent des indications sur la religion et l’origine ethnique des populations (mais encore faut-il faire la part des choses entre migration récente et mythes d’appartenance), suggèrent plutôt une étude par profession, par milieu social ou par fonction. Or André Raymond structure sa seconde partie en classes ethniques, à la manière des manuels anciens. On peut ainsi contester le titre du chapitre 1 : « les Tunisois ». Dans cette ville cosmopolite, tous les habitants étaient tunisois et sur la base de leur diversité, on peut disserter sur la prégnance du facteur ethnique dans leurs parcours mais il convient de ne point réifier à l’excès cette donnée. Un regard décalé aurait sans doute mieux répondu à l’horizon d’attente de l’historiographie contemporaine. Sur les « Tunisois de souche », les « indigènes », il convient de relever, au-delà du désaccord sur la pertinence de la catégorisation, une possible confusion sur le terme « baldî » (p. 53). Pour Raymond, il s’agit de « la masse de la population de Tunis ». Toutes les sources indiquent cependant que les « baldî » n’étaient que les notables de la ville, ceux que l’on pourrait en quelque sorte désigner comme les bourgeois de la ville, c’est-à-dire la petite part de la population dotée de droits civiques urbains spécifiques en fonction de leur appartenance familiale ou professionnelle et de leur dotation fiscale. Que le sentiment d’appartenance à la « souche » ait été diffus au-delà de ce cercle est probable. Mais il reste que le cercle était défini d’une manière limitée. Cette imprécision pose d’ailleurs la question de la qualification de la masse, et montre la limite du choix du critère ethnique. Une autre question aurait été celle de l’ouverture, ou non, du milieu de la notabilité urbaine à de possibles nouveaux venus, un signe classique en histoire urbaine de la dynamique notabiliaire et du fonctionnement de la société. Sur les « Turcs » (p. 62), on peut objecter que très souvent les personnes présentes à Tunis, car incarnant une fonction impériale ottomane, n’étaient pas turques, au sens ethnique d’un terme lui-même sujet à discussion, mais reflétaient dans leur parcours et la complexité de leur statut un des aspects essentiels de l’ottomanité, la diversité.
Quant à la qualification des populations descendantes des mouvements anciens, ou des mouvements contemporains en provenance d’Espagne, il aurait été intéressant qu’elle soit accompagnée de manière plus systématique d’une vision dynamique de leur insertion dans les réseaux sociaux et dans les entrelacs territoriaux de la ville. Cela dit, le chapitre 3 fournit de nombreux et précieux détails sur les Andalous et leur présence à Tunis. Le chapitre 4, sur les convertis, est convaincant : André Raymond y discute avec plus de vigueur les catégories et les descriptions de l’époque, et montre combien les parcours personnels de ces personnages reflètent une complexité qui ne saurait être réduite à une identité simpliste. Les histoires de marins méditerranéens établis à Tunis sont ainsi passionnantes, de même que celles de leur insertion dans l’administration de la province. On a là un tableau utile de la diversité de la Tunis ottomane. Le chapitre 5, sur les captifs, permet de faire le point sur les avancées récentes des études sur l’économie de course, et de les situer dans un contexte urbain. C’est là œuvre précieuse pour notre connaissance du tissu tunisois. Le chapitre 6, sur les juifs, permet de même de prendre en compte les recherches récentes dans ce domaine. André Raymond présente cette population en fonction des strates qui la composent, des autochtones aux arrivés plus récents. Là encore, un regard urbain, territorialisé en fonction des lieux de vie et de commerce, aurait peut-être permis de relativiser cette donnée. Partir de la Hâra, et analyser sa composition sociale et son évolution, plutôt que l’inverse, aurait ouvert sans doute d’autres horizons d’histoire urbaine. Mais l’exposé de la présence juive à Tunis demeure convaincant. Le chapitre 7, intitulé « Le temps de la Méditerranée », corrige largement par son approche dynamique l’aspect trop classique des chapitres précédents. André Raymond y affronte ainsi de manière plus englobante certains des thèmes essentiels à l’analyse de cette société, comme l’immigration, la diversité, ou le cosmopolitisme. Ces réflexions permettent à l’auteur de renouer avec ce qui fait la pertinence de toute son œuvre et que la facture trop classique, due peut-être aux attentes de l’éditeur, de certaines parties de l’ouvrage avait eu tendance à éclipser.
La troisième partie est consacrée à l’évolution de la ville. André Raymond y présente de manière claire et précise les transformations de l’espace urbain entre période hafside (chapitre 1) et période mouradite. Après un tableau (chapitre 2) des ressources économiques de la ville à l’époque, de la course à l’artisanat et au commerce, et des crises qu’elle a eu à traverser, guerres, disettes, chertés ou épidémies, l’auteur s’attache dans le chapitre 3 à la question de la gestion urbaine. Des instances relevant la gouvernance impériale et provinciale à celles relevant de la sphère urbaine, il dresse un tableau complet des fonctions ayant siège en ville. Pour l’organisation locale, il livre aux débats actuels sur la nature de la régulation urbaine, qui animent l’historiographie ottomane, de nombreux éléments passionnants, notamment autour de la figure du mizwâr et de ses attributions. Si André Raymond penche pour une interprétation de celles-ci en mode mineur, ses évocations ouvrent cependant de nombreuses perspectives pour la discussion de la répartition des compétences ayant trait à l’ordre social et administratif urbain. La Tunis ottomane constitue assurément un important champ de recherche en la matière, et l’exposé que fait André Raymond des caractères locaux de la gouvernance urbaine pose de nombreuses questions pertinentes. Sur les institutions urbaines locales, et les attributions des cheikhs de la médina et des faubourgs, il livre de même des indications précises et utiles. On pourrait sans doute aller plus loin dans la réflexion sur l’instance de consultation des notables à laquelle il est fait allusion (p. 218), mais c’est là un des horizons de la recherche actuelle et le mérite d’André Raymond est d’en avoir ouvert la voie. Ses réflexions sur les communautés et corporations sont de même extrêmement utiles. Mais là encore, devant l’abondance d’éléments suggérant une interprétation plus ferme, André Raymond persiste à clamer « l’absence d’institutions urbaines aux contours bien définis » (p. 221). Mais ne met-il pas en lumière lui-même ces contours, dans sa description d’une ville gérée par des notables représentés par un conseil, un chef de la ville, des chefs de quartier, des chefs de corporation, en relation avec le système de tutelle provinciale et impériale ? De même, il fait la liste d’attributions variées de gestion urbaine dans les mains de la notabilité professionnelle et commerciale organisée, de l’ordre public à la propreté, du contrôle du bâti à la fiscalité commerciale. Pourquoi dès lors persévérer à qualifier ce système « d’absence d’organisation systématique » (p. 222). N’est-ce pas le propre d’un système d’organisation d’ancien régime d’être pluristratifié, divers et modulable ?
Les chapitres 4 et 5 sont consacrés à l’œuvre d’amélioration de l’espace urbain entreprise sous les mouradites, et surtout au tableau des nombreuses constructions de prestige (chapitre 6) qui ont marqué la période, surtout dans le domaine de l’architecture religieuse. Mais André Raymond s’attache aussi à la description des travaux hydrauliques et de la construction de divers équipements publics comme l’hôpital (mâristân). Il porte aussi une attention soutenue aux initiatives d’agrandissement des espaces commerciaux, et notamment des souks.
Au total donc, ce livre s’avère d’une grande utilité pour qui veut saisir l’importance de la période mouradite dans la constitution de l’espace de la province ottomane tunisienne et surtout de la ville de Tunis. André Raymond parvient à présenter la plupart des éléments qui font que cette époque est digne du plus grand intérêt. De la géopolitique méditerranéenne aux détails de la vie urbaine, son tableau est d’une saisissante pertinence dans son effort de situer Tunis dans un moment clé de son évolution. S’il reste un certain nombre de points qui font encore débat, comme la nature de l’appartenance ottomane ou celle de l’administration urbaine dans son rapport aux structures d’un État en pleine définition, c’est bien qu’André Raymond parvient à livrer de nouveau aux chantiers actuels de la recherche les éléments issus de son immense expérience des villes arabes ottomanes.
Notes
1 Ahmed Saadaoui, Tunis, ville ottomane. Trois siècles d’urbanisme et d’architecture, Tunis, Centre de Publication universitaire, 2001, 472 p.
2 Sur les sources de l’histoire de cette période, voir aussi : Guy Turbet-Delof, « Les sources françaises imprimées de l’histoire des Mouradites », dans Actes du Premier Congrès d’histoire et de la civilisation du Maghreb (1974), Tunis, Ceres, 1979.
Référence électronique
Nora Lafi, « André Raymond, Tunis sous les Mouradites. La ville et ses habitants au xviie siècle », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 107 | 2009, mis en ligne le 10 septembre 2009, Consulté le 14 janvier 2010. URL : http://chrhc.revues.org/index1369.html
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