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Apr 25, 2011

La stratégie musulmane face à l’Inquisition espagnole

Un acteur représentant un Maure, au cours d’une commémoration à Valence

SEYFEDDINE BEN MANSOUR 

Il y a 519 ans, le 31 mars 1492, sur décision d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon, les juifs d’Espagne sont sommés de choisir entre l’exil, la conversion ou la mort.

La situation est différente pour les musulmans, les rois catholiques ayant signé avec Abû ‘Abd al-Ilâh de Grenade, roi déchu, des accords garantissant leur liberté de culte. Ils seront néanmoins très vite abrogés et dès 1502 apparaissent les premiers édits de conversion. En 1526, Charles Quint ira plus loin, inaugurant une politique de déculturation : interdiction du port du voile, de la langue arabe, des noms arabes, ainsi que de tout symbole islamique, main et croissant notamment. Mais les musulmans résisteront. Un siècle et demi durant, ceux qu’on appelle désormais les « Morisques », bien que convertis en apparence au catholicisme, auront su garder l’essentiel : leur attachement indéfectible à la foi islamique. Dans un esprit de taqiyya (« prudence »), autorisée par le muftî Ahmad ibn Jum’a en 1504, et pour pouvoir échapper aux tribunaux et aux bûchers de l’Inquisition, ils simulent — quoiqu’au minimum — les pratiques chrétiennes. Dans le même temps, chaque membre de la communauté assume, à son niveau et selon ses moyens, un devoir d’éducation. Ici comme ailleurs, le rôle des femmes est central dans la transmission du savoir et des pratiques. Les faqîh-s, ces cadres à la fois juristes et conseillers, ont en effet pratiquement disparu. Il reste néanmoins des lettrés parmi les Morisques. L’Inquisition et l’Eglise catholique les forment dans des séminaires afin qu’ils convertissent en profondeur les membres de leur communauté. Désormais remarquablement cultivés en latin et en grec, connaissant par le menu la doctrine chrétienne, c’est néanmoins au service de la polémique antichrétienne qu’ils mettront leur savoir. Multipliant bréviaires coraniques, traités de hadîths et autres livres d’instruction islamique, ils compteront parmi les membres les plus efficaces de la résistance culturelle. On les voit ainsi occulter de grands thèmes islamiques — tels que la virginité de Marie ou l’interprétation spirituelle du Paradis — trop proches des croyances des oppresseurs, pour mettre en valeur le Tawhîd, l’unicité de Dieu, opposée ici au shirk (« association ») et au blasphème absolu que constitue la Trinité. Ils retrouvent en cela les arguments d’autres communautés religieuses persécutées par l’Espagne catholique, les érasmistes et les protestants, dont ils connaissent les œuvres, et dont ils ont recherché l’alliance en Navarre. Chez les uns comme chez les autres, une même ironie contre les moines, contre le latin, un même refus des idoles et du Purgatoire, un même retour au Livre, sans clergé. Dans cette période d’interdictions et de persécutions, les Morisques ont développé une contre-acculturation à la mesure de la pression chrétienne. Non seulement on n’observe chez eux aucun signe de compromis, mais encore leur opposition au christianisme, bien que sourde, n’en était pas moins puissante. Ainsi la célébration de l’Atheucia, l’une des quatre grandes fêtes de l’islam caché des Morisques. Sous ce nom opaque se cache le Mawlid, la naissance du Prophète, conçu alors, essentiellement, comme un anti-Noël. La résistance islamique finira par triompher de la prodigieuse machine à broyer les consciences que fut l’Inquisition. L’édit d’expulsion lui-même (22 septembre 1609) sera vécu comme une hijra libératrice (en référence à l’émigration à Médine des premiers musulmans, persécutés par les polythéistes mecquois), les Morisques s’assimilant en outre au peuple de Dieu échappant, par voie de mer, aux griffes de Pharaon.

Source: fr.zaman

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