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May 11, 2011

Des milliers d’expulsions pour purifier l’Espagne catholique


Sylvie Arsever 

Les exils liés à la Réforme ont marqué nos mémoires. On a parfois oublié ceux intervenus à la même époque à la pointe du continent
Lorsque Dante Alighieri meurt à Ravenne en 1321, cela fait vingt ans qu’il n’a pas revu Florence, d’où l’a chassé un changement de pouvoir. C’est un réfugié, un destin qui va devenir toujours plus commun avec la constitution d’Etats soucieux non seulement d’écarter leurs adversaires politiques mais d’homogénéiser leurs populations, notamment sur le plan religieux. Une évolution où l’Espagne peut revendiquer l’honneur douteux d’un statut de précurseur.

De tout temps, les humains ont fui les troubles politiques, les combats et les calamités – famines, épidémies – qui leur étaient parfois liés. Mais ces départs ont le plus souvent été marginaux, limités aux élites ou aux habitants de zones particulièrement déstabilisées. L’arrivée d’un nouveau conquérant modifiait les rapports de force, faisait naître de nouveaux groupes de privilégiés, reléguait les autres. Mais il suffisait en général à ces derniers de faire allégeance pour pouvoir continuer de vivre en paix.

C’est ainsi que se sont notamment déroulées les conquêtes musulmanes qui ont remodelé à partir du VIIe siècle le visage de l’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient et de l’Espagne, faisant de cette dernière une terre bariolée où les trois religions monothéistes coexistent. Les débuts de la reconquête chrétienne s’y déroulent sur le même modèle: juifs et musulmans peuvent continuer à y vivre, même s’il vaut désormais mieux être chrétien.

Cela change à partir de la fin du XIVe siècle. En 1391, la populace excitée par les prédicateurs franciscains se déchaîne contre les juifs dans plusieurs villes. Ces violences entraînent une première vague de départs, des conversions plus ou moins sincères et une évolution de la position de la couronne de Castille, jusque-là plutôt favorable aux juifs.

Le tournant décisif intervient un siècle plus tard avec la création de l’Inquisition espagnole en 1482 et le décret de l’Alhambra qui, dix ans plus tard, met les juifs devant l’alternative: se convertir ou partir. Ils sont, selon les estimations, quelque 100 000 à 150 000 à choisir l’exil vers le Portugal, les ports européens et surtout l’Afrique du Nord et l’Empire ottoman. Cinq ans plus tard, la répétition de l’exercice au Portugal suscitera quelque 30 000 nouveaux départs.

La politique antijuive des souverains castillans ne crée pas seulement un exode d’une importance inédite. Elle soulève un nouveau problème, celui de la présence au sein de la population d’un groupe de personnes à la loyauté douteuse, les convertis qu’on soupçonne d’adhérer toujours en secret au judaïsme et qu’on affuble du surnom de marranes. Il devient nécessaire pour accéder à un nombre croissant de charges de produire un certificat de «pureté de sang» attestant d’une vieille ascendance chrétienne.

L’inquiétude née des conversions forcées est à l’origine d’une deuxième vague d’expulsions, plus importante encore: celle décrétée en 1609 de quelque 250 000 à 300 000 Morisques, ou musulmans christianisés de gré ou, souvent, de force, dont une partie avaient déjà été déportés à l’intérieur du pays quarante ans plus tôt. Expulsion sanglante: convoyés vers l’Afrique du Nord par les corsaires du sultan ottoman, les Morisques sont nombreux à être rançonnés ou assassinés par leurs bateliers ou par les populations côtières auxquelles on prétend les imposer.

Source: Le Temps.ch 

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