Mohamed Boundi
Dans la théorie de l’immigration, enseignée dans les cours de master aux universités espagnoles, le cas des morisques est cité dans l’étude des mouvements migratoires les plus significatifs dans l’histoire de l’humanité. Certains chercheurs les situent parmi les immigrés volontaires ou forcés alors que la réalité est autre. Il s’agit d’un peuple qui a été soumis à un génocide généralisé et à l’extermination pour le faire disparaître totalement comme nation ou une composante de la population ibérique.
L’expulsion des morisques se considère malheureusement dans la plupart des études comme une émigration forcée des derniers musulmans de la péninsule ibérique. Le terme « expulsion » doit être utilisé, dans ce contexte, pour désigner l’exécution d’une ordonnance du royaume de Valence de 1609 de les conduire de force hors du territoire, qui n’est autre que leur propre terre. Ils se dénommaient « chrétiens nouveaux moros » mais ils étaient les musulmans hispaniques qui ont été obligés à se convertir au christianisme au 16 e siècle.
Dans la chronologie des expulsions des musulmans d’Espagne, il est utile de rappeler que par le biais d’un décret de 1526, il avait été décidé la conversion au christianisme de tous les mudéjares d’Aragon et de Valence. Le 9 avril 1609, les rois catholiques ont ordonné leur expulsion sous prétexte que leur présence dans certains territoires de leur royaume, encore non unifié, était à l’origine de situations de tension sociale. La communauté morisque de Valence a ainsi été la première victime de la mise en pratique de cette mesure en dépit du désaccord de l’aristocratie locale devant l’éventualité de perdre une main d’œuvre habile et spécialisée qui était à son service. La diaspora de la communauté morisque avait, en outre, commencé le 30 septembre de 1609 à partir du moment où les premiers de ses membres furent expulsés vers le Maroc. L’émigration massive s’est poursuivie avec le départ des morisques d’Aragon (nord) et de Catalogne (nord-est), ainsi que ceux de Castille Y Léon de 1611 à 1614. Devant l’absence de statistiques démographiques exactes de l’époque, la population morisque serait au 16 ème siècle de près de 350.000 personnes, estimait l’historien Mikel de Epalza, dans son ouvrage « Les morisques avant et après l’expulsion » (Mapfre, 1994). Leur départ forcé de la péninsule a ainsi constitué la fin d’une présence arabe dans Al Andalous durant neuf siècles. Le terme Al Andalous désignait à l’époque l’ensemble des territoires sous domination arabo-musulmane. Toutefois, leur expulsion, qui peut être prise comme synonyme d’extermination, est attribuée à des causes religieuses généralement évoquées par les chercheurs et historiens. Il s’agit en fait d’arguments qui ont été largement répandus à l’instigation de l’église et des rois catholiques pour persister dans la violation des accords conclus par Abouabdellih, dernier roi nasride du royaume taifa de Grenade à la remise des clés de la ville, en 1492.
La cause principale de l’abandon forcé des morisques de leur terre serait l’échec des tentatives de leur conversion et assimilation. Au fond, les instigateurs de l’inquisition ont recouru à de faux témoignages pour les discréditer aux yeux de la société en les présentant comme un groupe social différent de la majorité. Comme la population morisque refusait d’abandonner certains de leurs signes d’identité, l’archevêque de Valence et Patriarche d’Antioquia, Juan de Ribera, proposa de les expulser. D’autres ont évoqué des causes de caractère politique et militaire, des difficultés d’insertion ou la concurrence au marché du travail, soutient Louis Cardaillac, dans son ouvrage « Morisques et chrétiens : un affrontement polémique : 1492-1640 » (Kilincksieck, 2000). Les morisques ont été forcés à s’exiler, en effet, pour des raisons politiques, religieuses et culturelles. D’ailleurs, leur départ involontaire de la péninsule ibérique a été organisé sous la supervision de l’armée devant l’éventualité de leur retour. Pour réduire les coûts de transport, les morisques ont été massivement déportés par voie maritime vers le Maroc, le pays musulman le plus proche mais aussi vers la France.
Eu égard à leur condition de « déportés », ils se trouvaient apatrides et sans possibilité de retour dans leur pays d’origine. Ils ont été cependant accueillis dans différents pays arabes où ils se sont intégrés comme s’ils étaient une nouvelle race. Pour de multiples facteurs (affinités culturelles, proximité géographique et esprit communautaire), ils se sont installés dans les villes marocaines où ils ont créé des enclaves sur la côte. Grace aux fonds et ressources rapportés dans leurs bagages et la maitrise de nombreuses activités professionnelles, les morisques n’ont eu aucune difficulté de s’intégrer dans le reste des pays du Maghreb et du Proche-Orient ainsi qu’en France, dans l’empire ottoman, en Italie, en Inde et en Afrique subsaharienne (Mali surtout), écrit Bruno Etienne dans une série d’articles dans le Nouvel Observateur intitulée « Nos ancêtres les Sarrasins » (avril-mai 2004).
Ce qu’il faut retenir dans cette circonstance est que les mesures d’expulsion (qui sont en réalité synonymes de génocide) de morisques, ont eu de graves conséquences en Espagne dont le dépeuplement de certaines régions et l’évacuation du marché du travail d’une valeureuse main d’œuvre. De là s’explique la raison pour laquelle de nombreuses régions ont été condamnées à l’appauvrissement chronique durant plusieurs siècles. La communauté morisque était composée d’une « élite bourgeoise et cultivée », d’artisans, de marchands et d’étudiants aux facultés de médecine. Comme ils constituaient une importante masse de travailleurs, les notables d’Espagne se sont enrichis à leur détriment mais aussi à travers l’expropriation de leurs biens, écrit Rodrigo Zayas, dans un article publié dans Le Monde Diplomatique (mars 1997) intitulé « L’expulsion des morisques d’Espagne ». Après leur départ forcé, les morisques ont logiquement perdu tout contact avec leur pays d’origine mais c’est particulièrement dans les pays du Maghreb, où ils se dénommaient « andalous », ils avaient entamé une nouvelle vie. Dans les pays d’accueil, ils se considèrent comme les descendants des musulmans expulsés d’Espagne. Dans leur nouveau foyer, ils avaient tenté de s’y intégrer rapidement grâce aux réseaux sociaux, liens ethniques et facteurs d’ordre économique, culturel et démographique.
Au Maroc par exemple, pour des facteurs d’ « économie politique », ils se considéraient comme un important capital humain.
D’autant plus, de nombreux morisques ont investi les fonds rapportés d’Al Andalous dans des activités productives, initiative qui avait eu des effets positifs sur l’économie en général. Ils ont été aussi porteurs de nouvelles techniques de développement de l’agriculture, de l’artisanat et du travail des minéraux. Pour des affinités culturelles, ils ont également contribué à la diffusion du savoir et des connaissances en gastronomie, lettres et musique ce qui avait facilité la convivialité avec les sociétés d’accueil. Dans plusieurs villes marocaines, ils ont réussi à créer des espaces propres, dénommés « quartiers andalous ». En général, leur assimilation s’est développée sans grande difficulté grâce à la présence de plusieurs milliers andalous installés au Maroc depuis des siècles bien avant l’expulsion des derniers morisques.
Actuellement, les mesures de leur exil forcé prises par l’église et les rois catholiques sont considérées comme une erreur commise pour des raisons religieuses, économiques et politiques. C’est aussi une sorte de génocide commis à l’encontre d’une minorité qui remplissait toutes les conditions de citoyens de plein droit dans la mesure où ils étaient les descendants de personnes nées dans la péninsule ibérique, avaient hérité un legs culturel et historique et contribué à l’épanouissement de techniques de développement, des lettres et de la pensée dans la péninsule ibérique. Après leur expulsion, l’Espagne, vidée d’une partie de sa population autochtonie, a connu une effroyable carence en main d’œuvre spécialisée et a dû survivre de l’importation de la majorité de leurs besoins en produits manufacturés et industriels. Bien qu’elle demeure une hypothèse discutable, son retard au plan technologique et intellectuel durant plusieurs siècles par rapport aux autres puissances européennes serait une conséquence de l’expulsion des morisques.
Dans la théorie de l’immigration, enseignée dans les cours de master aux universités espagnoles, le cas des morisques est cité dans l’étude des mouvements migratoires les plus significatifs dans l’histoire de l’humanité. Certains chercheurs les situent parmi les immigrés volontaires ou forcés alors que la réalité est autre. Il s’agit d’un peuple qui a été soumis à un génocide généralisé et à l’extermination pour le faire disparaître totalement comme nation ou une composante de la population ibérique.
L’expulsion des morisques se considère malheureusement dans la plupart des études comme une émigration forcée des derniers musulmans de la péninsule ibérique. Le terme « expulsion » doit être utilisé, dans ce contexte, pour désigner l’exécution d’une ordonnance du royaume de Valence de 1609 de les conduire de force hors du territoire, qui n’est autre que leur propre terre. Ils se dénommaient « chrétiens nouveaux moros » mais ils étaient les musulmans hispaniques qui ont été obligés à se convertir au christianisme au 16 e siècle.
Dans la chronologie des expulsions des musulmans d’Espagne, il est utile de rappeler que par le biais d’un décret de 1526, il avait été décidé la conversion au christianisme de tous les mudéjares d’Aragon et de Valence. Le 9 avril 1609, les rois catholiques ont ordonné leur expulsion sous prétexte que leur présence dans certains territoires de leur royaume, encore non unifié, était à l’origine de situations de tension sociale. La communauté morisque de Valence a ainsi été la première victime de la mise en pratique de cette mesure en dépit du désaccord de l’aristocratie locale devant l’éventualité de perdre une main d’œuvre habile et spécialisée qui était à son service. La diaspora de la communauté morisque avait, en outre, commencé le 30 septembre de 1609 à partir du moment où les premiers de ses membres furent expulsés vers le Maroc. L’émigration massive s’est poursuivie avec le départ des morisques d’Aragon (nord) et de Catalogne (nord-est), ainsi que ceux de Castille Y Léon de 1611 à 1614. Devant l’absence de statistiques démographiques exactes de l’époque, la population morisque serait au 16 ème siècle de près de 350.000 personnes, estimait l’historien Mikel de Epalza, dans son ouvrage « Les morisques avant et après l’expulsion » (Mapfre, 1994). Leur départ forcé de la péninsule a ainsi constitué la fin d’une présence arabe dans Al Andalous durant neuf siècles. Le terme Al Andalous désignait à l’époque l’ensemble des territoires sous domination arabo-musulmane. Toutefois, leur expulsion, qui peut être prise comme synonyme d’extermination, est attribuée à des causes religieuses généralement évoquées par les chercheurs et historiens. Il s’agit en fait d’arguments qui ont été largement répandus à l’instigation de l’église et des rois catholiques pour persister dans la violation des accords conclus par Abouabdellih, dernier roi nasride du royaume taifa de Grenade à la remise des clés de la ville, en 1492.
La cause principale de l’abandon forcé des morisques de leur terre serait l’échec des tentatives de leur conversion et assimilation. Au fond, les instigateurs de l’inquisition ont recouru à de faux témoignages pour les discréditer aux yeux de la société en les présentant comme un groupe social différent de la majorité. Comme la population morisque refusait d’abandonner certains de leurs signes d’identité, l’archevêque de Valence et Patriarche d’Antioquia, Juan de Ribera, proposa de les expulser. D’autres ont évoqué des causes de caractère politique et militaire, des difficultés d’insertion ou la concurrence au marché du travail, soutient Louis Cardaillac, dans son ouvrage « Morisques et chrétiens : un affrontement polémique : 1492-1640 » (Kilincksieck, 2000). Les morisques ont été forcés à s’exiler, en effet, pour des raisons politiques, religieuses et culturelles. D’ailleurs, leur départ involontaire de la péninsule ibérique a été organisé sous la supervision de l’armée devant l’éventualité de leur retour. Pour réduire les coûts de transport, les morisques ont été massivement déportés par voie maritime vers le Maroc, le pays musulman le plus proche mais aussi vers la France.
Eu égard à leur condition de « déportés », ils se trouvaient apatrides et sans possibilité de retour dans leur pays d’origine. Ils ont été cependant accueillis dans différents pays arabes où ils se sont intégrés comme s’ils étaient une nouvelle race. Pour de multiples facteurs (affinités culturelles, proximité géographique et esprit communautaire), ils se sont installés dans les villes marocaines où ils ont créé des enclaves sur la côte. Grace aux fonds et ressources rapportés dans leurs bagages et la maitrise de nombreuses activités professionnelles, les morisques n’ont eu aucune difficulté de s’intégrer dans le reste des pays du Maghreb et du Proche-Orient ainsi qu’en France, dans l’empire ottoman, en Italie, en Inde et en Afrique subsaharienne (Mali surtout), écrit Bruno Etienne dans une série d’articles dans le Nouvel Observateur intitulée « Nos ancêtres les Sarrasins » (avril-mai 2004).
Ce qu’il faut retenir dans cette circonstance est que les mesures d’expulsion (qui sont en réalité synonymes de génocide) de morisques, ont eu de graves conséquences en Espagne dont le dépeuplement de certaines régions et l’évacuation du marché du travail d’une valeureuse main d’œuvre. De là s’explique la raison pour laquelle de nombreuses régions ont été condamnées à l’appauvrissement chronique durant plusieurs siècles. La communauté morisque était composée d’une « élite bourgeoise et cultivée », d’artisans, de marchands et d’étudiants aux facultés de médecine. Comme ils constituaient une importante masse de travailleurs, les notables d’Espagne se sont enrichis à leur détriment mais aussi à travers l’expropriation de leurs biens, écrit Rodrigo Zayas, dans un article publié dans Le Monde Diplomatique (mars 1997) intitulé « L’expulsion des morisques d’Espagne ». Après leur départ forcé, les morisques ont logiquement perdu tout contact avec leur pays d’origine mais c’est particulièrement dans les pays du Maghreb, où ils se dénommaient « andalous », ils avaient entamé une nouvelle vie. Dans les pays d’accueil, ils se considèrent comme les descendants des musulmans expulsés d’Espagne. Dans leur nouveau foyer, ils avaient tenté de s’y intégrer rapidement grâce aux réseaux sociaux, liens ethniques et facteurs d’ordre économique, culturel et démographique.
Au Maroc par exemple, pour des facteurs d’ « économie politique », ils se considéraient comme un important capital humain.
D’autant plus, de nombreux morisques ont investi les fonds rapportés d’Al Andalous dans des activités productives, initiative qui avait eu des effets positifs sur l’économie en général. Ils ont été aussi porteurs de nouvelles techniques de développement de l’agriculture, de l’artisanat et du travail des minéraux. Pour des affinités culturelles, ils ont également contribué à la diffusion du savoir et des connaissances en gastronomie, lettres et musique ce qui avait facilité la convivialité avec les sociétés d’accueil. Dans plusieurs villes marocaines, ils ont réussi à créer des espaces propres, dénommés « quartiers andalous ». En général, leur assimilation s’est développée sans grande difficulté grâce à la présence de plusieurs milliers andalous installés au Maroc depuis des siècles bien avant l’expulsion des derniers morisques.
Actuellement, les mesures de leur exil forcé prises par l’église et les rois catholiques sont considérées comme une erreur commise pour des raisons religieuses, économiques et politiques. C’est aussi une sorte de génocide commis à l’encontre d’une minorité qui remplissait toutes les conditions de citoyens de plein droit dans la mesure où ils étaient les descendants de personnes nées dans la péninsule ibérique, avaient hérité un legs culturel et historique et contribué à l’épanouissement de techniques de développement, des lettres et de la pensée dans la péninsule ibérique. Après leur expulsion, l’Espagne, vidée d’une partie de sa population autochtonie, a connu une effroyable carence en main d’œuvre spécialisée et a dû survivre de l’importation de la majorité de leurs besoins en produits manufacturés et industriels. Bien qu’elle demeure une hypothèse discutable, son retard au plan technologique et intellectuel durant plusieurs siècles par rapport aux autres puissances européennes serait une conséquence de l’expulsion des morisques.
Source: Al Bayane
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